Alors que les premières entreprises soumises à la directive CSRD ont expérimenté la complexité du reporting de durabilité, une question centrale émerge : comment rendre ces normes plus accessibles, tout en garantissant la qualité, la comparabilité et l’utilité des données pour les parties prenantes ? 

 

Dans le cadre des propositions Omnibus présentées par la Commission européenne en février 2025, l’EFRAG (Groupe consultatif européen sur l'information financière et extra-financière) a été mandatée pour produire un avis technique sur la simplification des normes européennes de reporting de durabilité (ESRS). Initialement attendu pour fin octobre, cet avis a vu son échéance repoussée au 30 novembre 2025, afin de permettre une consultation publique élargie. 

 

Une méthodologie de simplification fondée sur 6 leviers 

Simplification de l'évaluation de la double matérialité (DMA) 

L’un des leviers majeurs de simplification concerne la double matérialité, pilier du reporting ESRS. Jugée trop complexe et trop procédurale lors des premiers exercices de reporting, son évaluation a été entièrement repensée. L’EFRAG introduit désormais une approche plus pragmatique, centrée sur l’analyse du modèle économique de l’entreprise, avec une logique descendante pour identifier les sujets les plus évidents à traiter. 

 

Au cœur de cette refonte, l’introduction du principe de “fair presentation” (ou reporting fidèle) marque un tournant. Inspiré des standards internationaux comme ceux de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), ce principe vise à garantir que les informations publiées soient pertinentes, fidèles et utiles à la prise de décision, tout en évitant une surcharge de données motivée uniquement par la conformité. Il devient un filtre transversal pour toutes les informations à inclure dans la déclaration de durabilité. 

 

La granularité excessive est également corrigée : les entreprises peuvent désormais regrouper les informations par sujets ou sous-sujets, selon leur pertinence, sans être contraintes de divulguer l’ensemble des points de données d’une norme thématique. Enfin, les notions de significativité et de matérialité de l’information sont clarifiées, renforçant le lien entre les enjeux identifiés et les besoins des utilisateurs. 

 


Lisibilité, concision et meilleure intégration dans le reporting d'entreprise 

Les premières vagues de reporting ont révélé une difficulté pour les entreprises à « raconter leur histoire » en matière de durabilité. Les rapports étaient souvent perçus comme trop techniques, trop longs et peu lisibles. Pour y remédier, l’EFRAG propose plusieurs aménagements visant à améliorer la clarté, la structure et la fluidité des déclarations de durabilité. 

 

Parmi les nouveautés : la possibilité d’intégrer une synthèse exécutive en début de rapport, l’usage d’annexes pour les données les plus granulaires (comme les métriques ou les informations liées à la taxonomie européenne), et la réduction des répétitions. Les entreprises peuvent désormais regrouper les politiques, actions et objectifs (PAT) par sous-thème, sans avoir à les dupliquer dans plusieurs sections. Cette flexibilité permet une meilleure connectivité avec le reste du reporting d’entreprise et renforce la pertinence des informations communiquées. 

 

Relation entre les exigences minimales d'information (MDR) et les spécifications thématiques 

Jusqu’ici, les exigences générales de divulgation (GDR) dans l'ESRS 2 coexistaient avec des spécifications détaillées dans les normes thématiques, entraînant des doublons et une surcharge d’informations. L’EFRAG propose une réduction drastique des points de données obligatoires dans les normes thématiques, en recentrant les exigences sur l’essentiel. 

 

Les entreprises ne sont plus tenues de justifier l’absence de politiques, actions ou objectifs (PAT) pour chaque sujet. Elles peuvent indiquer simplement les thèmes pour lesquels aucun PAT (politique, action, objectif) n’est en place. Cette approche plus souple et moins prescriptive permet un reporting plus concis, plus efficace, et mieux adapté à la réalité opérationnelle des organisations. 

 

Amélioration de la compréhension, de la clarté et de l'accessibilité des normes 

L’un des obstacles majeurs identifiés par l’EFRAG était la confusion entre contenu obligatoire et contenu volontaire. Les mentions « may disclose » ont été interprétées de manière variable, parfois comme des obligations implicites. Pour lever cette ambiguïté, l’EFRAG a supprimé la catégorie des divulgations volontaires et réorganisé les normes pour séparer clairement les éléments contraignants des contenus illustratifs. 

 

Le langage des normes a été simplifié, notamment dans ESRS 1, afin de faciliter leur compréhension et leur mise en œuvre. Les paragraphes d’application (AR) sont désormais rattachés directement aux exigences qu’ils précisent, et les contenus non obligatoires ont été déplacés vers des documents annexes (appelés NMIG pour Non-Mandatory Illustrative Guidance, soit le Guide illustratif non obligatoire). Cette clarification réduit les efforts d’interprétation pour les préparateurs et les auditeurs, tout en renforçant la fiabilité du reporting. 

 

Introduction d'autres mesures d'allègement des contraintes 

Au-delà de la réduction du nombre de données à fournir, l’EFRAG propose plusieurs assouplissements applicables à l’ensemble des normes, afin de rendre le reporting plus réaliste et moins contraignant pour les entreprises. 

 

  • Le principe de “coût ou effort excessif” : il permet à une entreprise de ne pas fournir certaines informations si leur collecte ou leur calcul nécessitent des ressources disproportionnées (temps, argent, moyens techniques). Ce principe évite que le reporting devienne trop lourd ou irréalisable. 
  • Possibilité de fournir des données partielles : lorsqu’il est difficile d’obtenir des données fiables sur l’ensemble d’un périmètre (par exemple, dans la chaîne de valeur), les entreprises peuvent publier des résultats partiels, à condition d’expliquer les limites et les hypothèses utilisées
  • Exclusion des activités non significatives : les entreprises ne sont plus tenues d’inclure dans leurs calculs les activités qui ont peu ou pas d’impact sur les enjeux de durabilité. Cela permet de se concentrer sur ce qui compte vraiment. 
  • Allègements pour les acquisitions et cessions : les entreprises disposent de plus de temps pour intégrer ou exclure les données liées à une entité nouvellement acquise ou vendue, ce qui évite des ajustements complexes en cours d’exercice. 
  • Option de ne fournir que des informations qualitatives : pour certains sujets complexes ou sensibles — comme la résilience face aux risques ou les effets financiers anticipés — les entreprises peuvent choisir de décrire leur approche sans fournir de chiffres, lorsque ceux-ci sont trop incertains ou difficiles à produire. 

Ces mesures permettent aux organisations d’adapter leur reporting à leur niveau de maturité, tout en maintenant une transparence suffisante pour les parties prenantes.

 

Amélioration de l'interopérabilité 

Enfin, l’EFRAG a veillé à aligner les ESRS avec les standards de l’ISSB (IFRS S1 et S2) , afin de faciliter le reporting des entreprises opérant dans plusieurs juridictions. Le langage des normes a été harmonisé, les définitions de la matérialité financière rapprochées, et le périmètre des émissions de GES ajusté pour correspondre aux options du GHG Protocol

 

Certaines différences subsistent, notamment en raison du maintien du principe de double matérialité propre aux ESRS, mais l’objectif est clair : minimiser les écarts et permettre une interopérabilité maximale entre les cadres européens et internationaux. 

 

Des résultats qui parlent d’eux même 

La mise en œuvre des six leviers de simplification a permis une réduction massive de la charge de reporting pour les entreprises. Selon les estimations de l’EFRAG, le nombre total de points de données obligatoires a été réduit de manière significative dans toutes les normes : 

 

  • Jusqu’à –90 % de réduction pour certaines normes environnementales comme ESRS E4 (biodiversité) 
  • En moyenne, –60 à –75 % pour les normes sociales (S1 à S4
  • –60 % pour la norme G1 relative à la conduite des affaires 
  • –57 % des données à déclarer dans les exigences générales (ESRS1
  • –50 % dans les informations générales (ESRS2

À l’échelle globale, les résultats sont tout aussi parlants : 

 

  • –57 % de points de données obligatoires 
  • Suppression totale des points de données volontaires 
  • –68 % de réduction totale du nombre de points de données 

Concrètement, le jeu de normes ESRS Set 1, tel qu’adopté en 2023, comptait 803 points de données. Après simplification, ce nombre tombe à 347, soit une division par plus de deux. 

 

Au-delà des chiffres, cette simplification marque une évolution stratégique du cadre ESRS. Les normes deviennent plus lisibles, plus ciblées, et mieux alignées avec les standards internationaux. Elles permettent aux entreprises de se concentrer sur les informations réellement utiles, tout en assurant une interopérabilité renforcée avec les cadres comme l’IFRS ou encore le GHG Protocol.

 

Une dynamique de consultation riche en enseignements 

Clôturée le 29 septembre 2025, la consultation publique sur les normes ESRS simplifiées a mobilisé plus de 700 parties prenantes issues de tous les horizons : entreprises, investisseurs, auditeurs, ONG, autorités de supervision… 

 

 Les premiers retours confirment un soutien global aux orientations prises par l’EFRAG, notamment sur la simplification de la double matérialité, la clarification du principe de “fair presentation, et la réduction du nombre de points de données

Mais les échanges ont aussi révélé des points de dissension: certains acteurs économiques jugent les allègements encore insuffisants, tandis que d’autres, notamment les investisseurs et les autorités de supervision, s’inquiètent de la perte de comparabilité ou de la suppression de données jugées essentielles. Des préoccupations ont été exprimées sur la clarté des nouveaux concepts, la cohérence des allègements proposés et l’interopérabilité avec les standards internationaux. 

Ces retours nourrissent les derniers arbitrages en cours. L’EFRAG a annoncé qu’elle intégrerait ces enseignements dans la version finale de son avis technique, attendue pour fin novembre. Une étape décisive pour garantir que les normes révisées soient à la fois ambitieuses, applicables et utiles à l’ensemble des parties prenantes. 

 

La révision des normes ESRS ne se limite donc pas à une opération technique : elle incarne une réorientation stratégique du reporting de durabilité en Europe. En allégeant les exigences, en clarifiant les principes et en renforçant l’alignement international, l’EFRAG répond aux besoins concrets des entreprises tout en essayant de préserver les ambitions du Pacte vert européen. 

 

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